Cette photo, prise par mon grand-père, c’était ma grand-mère, qui a quitté son corps il y a 16 ans.
Un cliché qui immortalise à jamais un moment suspendu, hors du temps, de révision d’examen : ils s’étaient connus sur les bancs de la faculté de médecine de Nancy. Il n’était pas encore son « époux » (c’était leur expression).
C’était un grand-père à l’ancienne, qui me racontait qu’il n’avait pas l’eau courante dans sa chambre d’étudiant et qu’il devait casser la glace le matin pour faire sa toilette.
C’était une grand-mère affectueuse, qui me remontait le moral en me disant que, comme moi, elle était nulle en maths. Je ne la croyais pas : on nous rabâchait qu’il fallait exceller dans toutes les matières pour « faire médecine ». Elle avait un bac littéraire, et disait qu’à son époque à elle, c’était facile, la fac de médecine : nul besoin de sacrifier une partie de sa vie pour sauver celle des autres.
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Sans que nous en ayons toujours conscience, nos grands-parents nous transmettent un patrimoine qui ne se limite pas à une armoire, de l’argenterie ou de la vaisselle, et ils ne sont souvent pas tout à fait étrangers à ce que nous sommes, et à ce que nous faisons.
Ma grand-mère était femme médecin, et je me dis qu’aujourd’hui ce n’est pas un hasard si je fais partie de ceux qui, à leur façon, soulagent les blessures du cœur et de l’âme.
Mon grand-père paternel était général des eaux et forêts… un titre fort impressionnant, même si, je dois l’avouer, je n’ai jamais su ce que cela signifiait ! Peu importe. Je me souviens de sa passion pour les papillons. Comme lui, j’aime la vie de la nature, les arbres et les forêts.
Ma grand-mère paternelle était femme au foyer. Ce qui faisait briller ses yeux, c’était ses enfants. Là aussi, je me retrouve en elle, et même si je suis active, mes plus grands trésors (c’était son expression), ce sont mes « tout petits » (une autre de ses expressions). Qui sont maintenant des « tout grands » du reste, mais nos enfants ne restent-ils pas, d’une certaine manière, nos bébés pour la vie ?
Chers grands-parents, soyez honorés et remerciés.
Nos aïeuls nous transmettent un héritage bien plus vaste que ce qui est matériel, et parfois bien plus lourd à porter. Nous avons leur regard, leur démarche ou leur ténacité, et portons parfois le poids de leurs souffrances, leurs traumas et leurs regrets. En sont-ils responsables ? Peut-on vraiment leur en vouloir ?
L’acceptation arrive quand le voile se lève sur le passé douloureux et qu’on décèle les souffrances qu’ils ont traversées.
J’ai parfois ressenti de la colère vis-à-vis de certains de mes ancêtres. Avec l’âge, je me rends compte qu’ils ont fait de leur mieux, tout simplement.
Les choix ne sont pas toujours aisés. Les époques ne sont pas les mêmes. Autres temps, autres mœurs.
Alors, de la « rancœur », essayons d’ôter le « ran » (rance) et ne gardons que le « cœur ».
Chers grands-parents, soyez honorés et remerciés.
Aujourd’hui les anciens sont souvent relégués au rang d’inutiles, démodés, « vieux jeu » (quand ce n’est pas « vieux cons »). Ils ont pourtant tant de sagesses à nous transmettre !
Le monde masqué, perçu par certains comme dangereux et incertain, dans lequel nous vivons, a tendance à creuser ce fossé de générations, les futurs ainés allant même jusqu’à priver arbitrairement leurs géniteurs de leur libre arbitre, décidant à leur place comment ils doivent vivre pour éviter de mourir (en tous cas d’une certaine maladie liée à un certain confinement).
Bien sûr, nous avons légitimement envie de les avoir en vie le plus longtemps possible, mais n’est ce pas à nos anciens de décider comment ils voudraient vivre leur fin de partie ?
Les gens âgés (âgés étant l’anagramme de sages), qui ont eu une existence bien remplie, n’ont peut-être pas tous envie de subir une fin de vie vide, venant annihiler tout ou partie du beau qu’ils ont vécu.
Chers grands-parents, soyez honorés et remerciés.
Le chamanisme voit nos ancêtres comme des maitres dont l’expérience est un précieux enseignement. Aujourd’hui, il renait de ses cendres car nous vivons une époque trouble, dans laquelle beaucoup d’entre nous ont perdu leurs repères et leurs racines. Cela génère une perte de sens.
Pourtant, comment savoir où l’on va quand on ne sait pas d’où l’on vient ?
Comment un arbre peut-il croître s’il est privé de racines solides sur lesquelles s’appuyer, s’il ne peut se reposer sur un ancrage profond, qui lui permettra de courber l’échine sans rompre sous les tempêtes ?
Notre lignée est notre ancrage, notre point de stabilité et de force. Ma grand-mère n’est plus de ce monde, pourtant elle me visite la nuit, au moins une fois par mois depuis le matin même où elle est partie, depuis maintenant seize années. Dans mon dernier rêve, elle portait un masque. Comme si de là-haut, elle me signifiait qu’elle savait bien ce que nous vivions en ce moment. Elle me regardait, sereine, silencieuse, et moi j’étais juste extrêmement frustrée de ne pas pouvoir l’embrasser.
Même disparus, nous pouvons nous appuyer sur les qualités, les valeurs, les expériences de nos aïeuls.
En stage, j’invite parfois les participants à explorer ce qu’ils ont reçu en héritage de leur lignée dans leurs traits de caractères, dans leurs forces et l’impact que cela peut avoir sur leur vie actuelle. Ce sont souvent de grands moments d’émotions. Nos ancêtres continuent, d’une certaine manière, à vivre à travers nous, et en changeant de regard, les synchronicités, les métaphores et les parallèles peuvent être surprenants.
N’oublions jamais que sans eux, nous ne serions tout simplement pas là.
Alors, chers grands-parents, soyez honorés et remerciés.